A deux pas de Namur, à une heure de Bruxelles, la culture chante encore, en dehors de la ville. Doit-on être proche de tout pour réunir les gens? Pas sûr… Peut-être le public aime-t-il aussi de temps en temps se dépayser pour partir en voyage au pays du théâtre, des notes et des mots.
C’est au coeur de Temploux, petit village connu de tous pour sa brocante que fin 2018, Vivre en fol cie, compagnie itinérante de théâtre forain, familial, et musical a posé ses valises, ses caravanes et son chapiteau pour faire rêver encore, toujours un peu plus haut. Il fallait trouver un lieu à l’énergie unique, à l’histoire inspirante et sentant bon l’avenir. Ce lieu fut évident, avait déjà un nom : « La Templerie des hiboux ».
La Templerie des hiboux, un nom plein de promesses, un théâtre déjà? Non, pas tout à fait, mais déjà un lieu de partage, d’art et de créativité. Cette imposante bâtisse du 19me siècle fut d’abord une ferme qui appartenait alors aux Delchevalerie, une famille de cultivateurs. Entre 1881 et 1891, elle est vendue à trois reprises à Gustave Dubresse, à Théodore Pouillon et à Alphonse Lombet. C'est encore un cultivateur, Emile Soquette qui l'achète en 1911. La ferme passera ensuite à son beau-fils Edmond Doumont en 1930 et restera dans cette famille jusqu'en 1968. Paul Klein, artiste peintre français à la renommée internationale en devient propriétaire en 1970.
Klein était l'ami de Georges Brassens et de Jacques Brel qui le qualifiaient de « dernier ogre à boire de la tendresse ». Il est d'ailleurs le peintre que l'on voit dans le clip de l’Éclusier et à qui Brel s'adresse quand il dit « Klein, mets moi un petit éclusier » par plusieurs fois dans la chanson, créant ainsi un jeu de comique de scène. La légende dit d’ailleurs que les deux monstres sacrés de la chansons furent invités à de multiples fêtes de la ferme Temploutoise.
C’est Klein qui trouvera le nom de la Templerie des hiboux imaginant que les Templiers auraient pu se rencontrer à Temploux. Quant aux hiboux, il y en a toujours eu pléthore dans ce quartier et encore aujourd’hui on entend hululer chaque nuit de printemps.
La Templerie sera lieu de peinture, expos, apprentissage tenu par Klein lui même puis par deux de ses élèves Hans Hönick et Arionne de Roy, des élèves qui étaient tombés amoureux des lieux, de 1987 à 2018.
Après ce petit bout d’histoire nous voilà de retour avec la Vivre en fol Cie, en mai 2018 donc, en recherche d’un lieu pour créer davantage.
Astrid Lambeaux, scénographe et costumière de la troupe apprend que la Templerie des hiboux est en vente. Et là, c’est l’évidence, c’est ce lieu qu’il leur faut. La Templerie elle la connait, ou plutôt elle l’a connue, 30 auparavant lorsqu’elle usait ses premiers pinceaux sur ses premières toiles comme élève très privilégiée de … Paul Klein. Elle se souvient alors, avoir pensé « Un jour je vivrai ici » puis l’idée s’était envolée … pendant 30 ans. Et devant le panneau « A vendre », tout lui semble logique. Le destin à ses évidences que parfois la raison ignore, et c’est tant mieux.
En août 2018 la compagnie déménage. Travaux, huile de coudes, coup de mains et passion du matin jusqu’au soir de la fin de l’été au début printemps.
Dans la ferme peinture, point de salle de spectacle mais une grande grange, peinte en jaune et en blanc. Il faut tout rafraichir, construire des gradins, installer des lumières. La troupe sur les échafaudages échafaude des plans, des idées de saison, de saison culturelle.
En mars 2019, à peine 7 mois plus tard, on inaugure les lieux. Inaugurer un lieu qui a deux siècles d’histoire est une vraie renaissance.
Dés le mois d’août qui vient une première vraie saison est mise en place mais est annulée en cours de route par une anesthésie mondiale qui donnera un grand coup de frein à tous les enthousiasmes. De mars 2020 à janvier 2022, on démarre, on s’arrête, on re-démarre, on re-s’arrête, on se motive, on s’interdit. Qu’il est le long le chemin pour aller jusqu’aux rêves quand la réalité se déguise en cauchemar.
Mais en 2022, tout reprend vraiment vie et près de 4 ans après la première visite, l’aventure s’accélère. Et voilà que l’on crée des spectacles un peu fous où les enfants rigolent, et voilà qu’on accueille des artistes de partout qui font chanter les grands. Et voilà que la porte ne cesse de s’ouvrir sur un public heureux, curieux, nombreux, toujours plus nombreux.
Depuis, chaque jour, l’aventure est un peu plus belle. Reconnue autant par le secteur que par les artistes comme lieu incontournable, la Templerie a de beaux jours devant elle. Et même si près de 10 000 spectateurs franchissent chaque année les portes de son théâtre ou de son chapiteau, il y a encore énormément de gens à qui faire découvrir ce lieu de tous les possibles. Il y a encore tant d’oreilles auxquelles on a envie de chuchoter tout bas la plus belle des rumeurs : « A deux pas de Namur, à une heure de Bruxelles, la culture chante encore, en dehors de la ville. ».
Manon Romain et Barnabé Dekeyser, direction artistique